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« Deux ans se sont écoulés depuis que, endoctrinée par l’amour, je perdis, plus tôt qu’on ne devait s’y attendre, ce joyau si difficile à garder, et voici comment : j’étais accoutumée, lorsque ma bonne tante faisait sa méridienne, de m’aller récréer en travaillant sous un berceau que côtoyait une petite rivière, qui rendait ce lieu fort agréable pendant les chaleurs de l’été. Une après-midi que, suivant mon habitude, je m’étais placée sur une couche de roseau, que j’avais fait mettre à ce dessein dans le cabinet, la tranquillité de l’air, l’ardeur assoupissante du soleil, et, plus que tout cela peut-être, le danger qui m’attendait, me livrèrent aux douceurs du sommeil ; un panier sous ma tête me servait d’oreiller ; la jeunesse et le besoin méprisent les commodités du luxe.

Il y avait au plus un quart d’heure que je dormais, quand un bruit assez fort, qui se faisait dans la rivière dont j’ai parlé plus haut, dérangea mon sommeil et m’éveilla en sursaut. Imaginez-vous ma surprise lorsque j’aperçus un beau jeune homme, nu comme la main, qui se baignait dans l’onde qui coulait à mes pieds. Ce jeune Adonis était, comme je l’ai su depuis, le fils d’un gentleman du voisinage, qui m’était inconnu jusqu’alors.

« Les premières émotions que me causa la vue de ce jeune homme tout nu furent la crainte et la surprise ; et je vous assure que je me serais esquivée, si une modestie fatale n’eût retenu mes pas ; car je ne pouvais gagner la maison sans être vue du jeune drôle. Je demeurai donc agitée par la crainte et la modestie, quoique la porte du cabinet où je me trouvais étant fermée, je n’avais nulle insulte à appréhender. La curiosité anima cependant à la fin mes regards ; je me mis à contempler par un trou de la cloison le beau garçon qui s’ébattait dans l’onde. La blancheur de sa peau frappa d’abord mes yeux, et parcourant insensiblement