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vous sachiez que nous vécûmes ensemble tant que la misère nous sépara et me fit embrasser la profession. »

Suivant l’ordre de la situation, c’était à Harriett à nous faire son histoire. Parmi les beautés de son sexe que j’avais vues avant et depuis elle, il en est bien peu qui puissent se flatter d’égaler les siennes : elles n’étaient pas délicates, mais la délicatesse même incarnée, tant avaient de symétrie ses membres petits, mais exactement proportionnés. Sa complexion, blonde comme elle l’était, paraissait encore plus blonde grâce à deux yeux noirs dont l’éclat donnait à son visage plus de vivacité que n’en comportait sa couleur ; un léger coloris animait ses joues pâles et diminuait insensiblement pour se fondre dans la blancheur générale. Ses traits d’une finesse de miniature achevaient de lui donner un air de douceur que ne démentait pas son caractère, porté à l’indolence, à la langueur et aux plaisirs de l’amour. Pressée de parler, Harriett sourit, rougit et commença en ces termes :

« Mon père, qui fut meunier près de la ville de York, ayant perdu ma mère peu de temps après ma naissance, confia mon éducation à une de mes tantes, vieille veuve sans enfants et qui était alors gouvernante ou ménagère chez mylord N…, à sa campagne de …, où elle m’éleva avec toute la tendresse possible.

« Ayant déjà passé de deux années cet âge que trois lustres accomplissent, plusieurs bons partis s’empressaient de me prouver leur amour, en me procurant des plaisirs frivoles. J’ignorais encore ceux qui tiennent à l’union des cœurs, quand la nature et la liberté, d’accord avec le penchant, les voient éclore. Si le tempérament me laissa méconnaître ses vives impressions jusqu’à ce terme, bientôt il me dédommagea avec profusion de ce que j’avais ignoré. Heureux moments !