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de toilettes et de parures dont certaines femmes peu sensées écrasent leur beauté, croyant la faire ressortir ; que ces voluptueux expérimentés les tenaient dans le plus profond mépris, eux pour qui les charmes naturels avaient seuls du prix et qui seraient toujours prêts à planter là une duchesse pâle, mollasse et fardée, pour une paysanne colorée, saine et ferme en chair ; que, pour ma part, la nature avait assez fait en ma faveur pour me dispenser de ne rien demander à l’art ». Enfin elle concluait que, dans la présente occasion, la meilleure toilette était de n’en pas avoir.

Ma gouvernante me semblait trop bon juge en ces matières pour ne pas m’imposer son opinion. Elle me prêcha ensuite, en termes très énergiques, la doctrine de l’obéissance passive et de la complaisance pour tous ces goûts arbitraires de plaisir, que les uns appellent des raffinements et les autres des dépravations ; en décider n’était pas l’affaire d’une simple fille, intéressée à plaire : elle n’avait qu’à s’y conformer.

Tandis que je m’édifiais à écouter ces excellentes leçons, on servait le thé, et les jeunes personnes revinrent nous tenir compagnie.

Après une conversation pleine d’entrain et de gaîté, l’une d’elles, observant que l’heure de l’assemblée était encore assez éloignée, proposa que chacune de nous fît à la compagnie l’historique de cette période critique de sa vie où elle était, pour la première fois, de fille devenue femme.

Mme Cole approuva l’idée, à condition qu’on m’en dispensât à cause de ma prétendue virginité et aussi qu’on l’excusât elle-même à cause de son âge. La chose ainsi réglée, on pria Emily de commencer. C’était une fille blonde à l’excès et dont les membres étaient, si c’est possible, trop bien faits, car leur plénitude charnue préjudiciait plutôt à cette