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de là, passant à une taille élégante, à une chute de reins merveilleuse ; chaque contour était baisé tour à tour, puis il me fit sentir tout à coup son pouvoir qui, ressuscitant mes esprits animaux, me contraignit à goûter des plaisirs que mon cœur désavouait.

Quelle différence, hélas ! de ces plaisirs purement mécaniques à ceux que produit la jouissance d’un amour mutuel où l’âme, confondue avec les sens, se noie pour ainsi dire dans une mer de volupté !

Cependant M. H… ne cessa de me donner des preuves de sa vigueur qu’à la pointe du jour, où nous nous endormîmes d’un profond sommeil.

Vers les onze heures, Mme Jones nous apporta deux excellents potages, que son expérience en ces sortes d’affaires lui avaient appris à préparer en perfection. M. H…, qui s’était aperçu que j’avais changé de couleur à son arrivée, me dit, lorsqu’elle nous eût quittés, que pour me donner une première preuve de son tendre attachement, il voulait me changer de maison et que je n’avais pas à m’impatienter jusqu’à son retour. Il s’habilla et sortit, après m’avoir remis une bourse contenant vingt-deux guinées, en attendant mieux.

Dès qu’il fut dehors, je réfléchis sur ma condition actuelle et sentis la conséquence du premier pas que l’on fait dans le chemin du vice ; car mon amour pour Charles ne m’avait jamais paru criminel. Je me regardai comme quelqu’un qui est entraîné par un torrent sans pouvoir regagner le rivage. Le sentiment effroyable de la misère, la gratitude, le profit réel que je trouvais dans cette connaissance avaient en quelque manière interrompu mes chagrins, et si mon cœur n’eût point été engagé, M. H… l’aurait vraisemblablement possédé tout entier ; mais la place étant occupée, il ne devait la jouissance de mes charmes qu’aux tristes conjectures où le sort m’avait réduite.