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le bonheur d’amour qui me fit passer de l’excès des douleurs au comble de la félicité. Je commençai alors à partager ces plaisirs suprêmes, à goûter ces transports délicieux, ces sensations trop vives et trop ardentes pour qu’on puisse y résister longtemps. Heureusement la nature a pourvu, par ces dissolutions momentanées, à ce délire et à ce tremblement universel qui précèdent et accompagnent le plaisir et l’épanchement de la liqueur divine.

C’est dans de pareils passe-temps que nous gagnâmes l’heure du souper. Nous mangeâmes à proportion du fatigant exercice que nous avions fait. Pour moi, j’étais si transportée de joie, en comparant mon bonheur actuel avec l’insipide genre de vie que j’avais mené ci-devant, que je n’aurais pas cru l’avoir acheté trop cher quand sa durée n’eût été que d’un moment. La jouissance présente était tout ce qui remplissait ma petite cervelle. Enfin la nature, qui avait besoin de réparation, nous ayant invités au repos, nous nous endormîmes. Mon sommeil fut d’autant plus délectable que je le passai dans les bras de mon amant.

Quoique je ne m’éveillasse le lendemain que fort tard, Charles dormait encore profondément. Je me levai le plus doucement que je pus et me rajustai de mon mieux. Ma toilette achevée, je m’assis au bord du lit pour me repaître du plaisir de contempler mon Adonis. Il avait sa chemise roulée jusqu’au cou ; mes deux yeux n’étaient de trop pour jouir pleinement d’une vue si ravissante. Oh ! pourrai-je vous peindre sa figure, telle que je la revois en ce moment, présente encore à mon imagination enchantée ! Le type parfait de la beauté masculine en pleine évidence ! Imaginez-vous un visage sans défaut, brillant de toute l’efflorescence, de toute la verdoyante fraîcheur d’un âge où la beauté n’a pas de sexe : à peine le premier duvet sur la lèvre supérieure commençait-il à faire distinguer le sien.