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échantillon de mes charmes, Phœbe me reconduisit à ma chambre, et, ayant fermé la porte, elle me demanda mystérieusement si je ne serais pas bien aise d’avoir un aussi beau gentleman pour mari. (Je suppose qu’on lui donnait le titre de beau parce qu’il était chamarré de dentelles.) Je répondis naïvement que je ne songeais point au mariage, mais que si jamais j’avais un choix à faire ce serait parmi les gens de ma sorte, me figurant que tous les beaux gentlemen étaient faits sur le modèle de ce hideux animal.

Tandis que Phœbe employait sa rhétorique à me persuader en sa faveur, Mistress Brown, ainsi que j’ai ouï dire depuis, l’avait taxé à cinquante guinées pour la seule permission d’avoir un entretien préliminaire avec moi, et à cent de plus au cas qu’il obtînt l’accomplissement de ses désirs, le laissant maître de me récompenser comme il le jugerait à propos. Le marché fut à peine conclu qu’il prétendit qu’on lui livrât la marchandise sur-le-champ. On eut beau lui représenter que je n’étais pas encore préparée à une pareille attaque, qu’il, fallait tâcher de m’apprivoiser avant de brusquer les choses ; que, timide et jeune comme je l’étais, on risquerait de m’effaroucher et de me rebuter par trop de précipitation. Discours inutiles ; tout ce qu’on put obtenir de lui fut qu’il patienterait jusqu’au soir.

Pendant le dîner, mes deux embaucheuses ne cessèrent d’exalter le merveilleux cousin : « J’avais eu le bonheur de le rendre sensible dès la première vue… il me ferait ma fortune si je voulais être bonne fille et ne point écouter mes caprices, … que je pouvais compter sur son honneur… que je serais au niveau des plus grandes dames… j’aurais un carrosse pour me promener… »

Elles ajoutèrent à ces fastidieux propos maintes autres bêtises capables de tourner la tête d’une pauvre innocente