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Aussitôt mon installation faite, ma maîtresse débuta par me dire que son dessein était que nous vécussions familièrement ensemble, qu’elle m’avait prise moins pour la servir que pour lui tenir compagnie et que, si je voulais être bonne fille, elle ferait plus pour moi qu’une véritable mère. À quoi je répondis niaisement en faisant deux ou trois ridicules révérences :

« Oui, oh ! que si, bien obligée, votre servante. »

Un moment après elle sonna et une grande dégingandée de fille parut :

« Martha, lui dit Mistress Brown, je viens d’arrêter cette jeune personne pour prendre soin de mon linge ; allez, montrez-lui sa chambre. Je vous ordonne surtout de la regarder comme une autre moi-même ; car je vous avoue que sa figure me plaît à un point que je ne sais pas ce que je serais capable de faire pour elle. »

Martha, qui était une rusée coquine des mieux stylées au métier, me salua respectueusement et me conduisit au second étage, dans une chambre sur le derrière, où il y avait un fort bon lit, que je devais partager, à ce qu’elle m’apprit, avec une jeune dame, une cousine de Mistress Brown. Après quoi elle me fit le panégyrique de sa bonne et chère maîtresse, m’assurant que j’étais fort heureuse d’être si bien tombée ; qu’il n’était pas possible de mieux rencontrer ; qu’il fallait que je fusse née coiffée ; que je pouvais me vanter d’avoir fait un excellent hasard. En un mot, elle me dit cent autres platitudes de cette espèce, capables de me faire ouvrir les yeux si j’avais eu la moindre expérience.

On sonna une seconde fois ; nous descendîmes et je fus introduite dans une salle où la table était dressée pour trois. Ma maîtresse avait alors avec elle sa prétendue parente, sur qui les affaires de la maison roulaient. Mon éducation devait