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de la nature de la guerre.

nécessaire d’avoir de l’imagination. Nous convenons que nous n’entendons parler ici que de l’application la plus restreinte et du degré le moins élevé de cette force naturelle, mais nous affirmons que, dans ces modestes fonctions mêmes, elle ne saurait faire complètement défaut, parce que, sans elle, il serait impossible d’arriver à la représentation intuitive des objets dans leur enchaînement et dans la corrélation de leurs formes. Nous reconnaissons aussi que la mémoire peut être ici d’une grande utilité, mais, quant à déterminer s’il ne convient pas de considérer la mémoire elle-même comme une force de l’âme ou si ce n’est pas précisément la faculté de se représenter les objets qui les fixe davantage dans la mémoire, nous le saurions d’autant moins faire que, tout bien considéré, dans maintes circonstances il semble difficile de concevoir ces deux aptitudes séparées l’une de l’autre.

L’exercice, l’observation et le raisonnement concourent beaucoup à assurer le sentiment du terrain. Puységur, le célèbre chef d’état-major du célèbre Luxembourg, disait qu’il avait longtemps désespéré de lui-même à ce propos, par la raison que, chaque fois qu’il lui fallait aller au loin chercher le mot d’ordre, il s’égarait infailliblement en route.

De même que celles qui procèdent de l’intelligence et du caractère, cette aptitude spéciale doit nécessairement grandir en raison de l’élévation de la situation. Dans la conduite d’une patrouille, le brigadier de hussards ou de chasseurs n’aura pas grand’peine à retrouver la route et le sentier qu’il doit parcourir ; il ne lui faut pour cela que quelques indices et peu d’esprit d’examen et d’observation. Le commandant en chef, au contraire, doit s’élever jusqu’aux objets géographiques généraux de la province ou du pays, et, sans jamais perdre de vue la direction des routes, des cours d’eau