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du génie à la guerre.

du caractère, lorsqu’il change à chaque instant de manière de voir. On ne peut donc uniquement attribuer cette qualité qu’aux hommes dont la conviction est très constante, soit que, très claire et fortement motivée, elle soit par cela même peu susceptible de variation, soit que, comme dans les natures indolentes, le manque d’activité de l’intelligence la garantisse du changement, soit enfin qu’un acte formel de la volonté, né du raisonnement et basé sur une maxime régulatrice, réponde pour ainsi dire de l’invariabilité de la manière de voir.

Or, à la guerre, les impressions morales sont si nombreuses et si fortes et les renseignements et les suppositions présentent un tel degré d’incertitude, que, de toutes les activités que l’homme exerce, il n’en est pas une qui l’incite autant à se tromper dans ses jugements sur lui-même et sur les autres et à abandonner la voie qu’il s’est tout d’abord tracée.

Le spectacle incessant des dangers et des souffrances tend à amollir le cœur et à laisser le sentiment prendre le pas sur le jugement. La difficulté de percevoir et d’apprécier clairement les phénomènes dans la pénombre où ils se produisent explique et rend plus excusables les changements dans la manière de voir. Comme on ne peut jamais agir que par pressentiment ou intuition de la vérité, des idées différentes assiègent à chaque instant l’esprit, et la conviction a sans cesse à lutter contre un torrent d’impressions nouvelles. Or les impressions sont toujours si fortes et si vives à la guerre, elles sont toujours si directement tournées vers le cœur, que le plus grand sang-froid est à peine capable de soustraire le raisonnement à leur influence.

Une très grande profondeur et une très grande clarté de jugement peuvent seules faire découvrir des principes et des points de vue généraux qui permettent de diriger l’action d’un point assez élevé pour, malgré le