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de la nature de la guerre.

une fois mis en route, rien ne les peut plus arrêter. Les hommes de cette trempe ne se laissent ni surprendre ni dominer par leurs sentiments comme les hommes de tempérament violent ; mais l’expérience prouve néanmoins que, lorsqu’ils ne sont pas animés de la noble fierté de se commander à eux-mêmes, ils sont également susceptibles de sortir de leur équilibre et de céder à l’entraînement aveugle de la passion. C’est là un phénomène dont on trouve les plus nombreux exemples parmi les plus grandes célébrités guerrières des peuples barbares, où le peu de culture intellectuelle favorise toujours la prépondérance des sentiments de l’instinct, mais que l’on rencontre fréquemment aussi parmi les personnalités militaires issues des plus hautes classes des nations civilisées.

Nous répétons donc qu’avoir l’âme forte ne consiste pas à éprouver de grandes émotions, mais bien à rester assez maître de soi, dans l’orage même des passions, pour laisser au jugement et à la conviction, dans les circonstances les plus graves, la liberté que conserve l’aiguille aimantée sur le navire tourmenté par la tempête.


On dit d’un homme qu’il a de la force de caractère, ou simplement et d’une façon générale qu’il a du caractère, lorsqu’il reste inébranlable dans la conviction qu’il s’est formée, que cette conviction soit le résultat d’une intuition personnelle ou étrangère, ou qu’elle procède d’un principe, d’une manière de voir, d’une inspiration spontanée ou d’un acte quelconque du raisonnement. Or il est clair que cette fermeté de la conviction ne peut se manifester là où les idées se modifient sans cesse, — ce qui témoigne de l’incertitude même du raisonnement ou de sa disposition à céder aux influences extérieures, — et que, par suite, on ne dira pas d’un homme qu’il a