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de la critique.

de l’idée vague que, entre le génie d’un grand capitaine et les faveurs que la fortune lui accorde, il existe des relations d’une trop grande subtilité pour que l’esprit humain les puisse saisir. Cette conception s’appuie sur le fait constant, que l’intérêt que nous prenons au phénomène grandit et revêt une forme plus accusée, à mesure que la chance s’affirme davantage pour ou contre le même général. C’est ainsi que s’explique comment la chance présente à la guerre une bien plus noble nature qu’au jeu, et pourquoi il suffit qu’un général heureux ne nous porte pas préjudice par quelque autre côté, pour que nous le suivions partout avec plaisir dans sa brillante carrière.

On voit ainsi que, après avoir reconnu tout ce que le calcul et l’esprit d’observation lui ont permis de tirer de l’examen d’un événement, c’est au résultat même de cet événement que la critique doit s’adresser, en dernière instance, pour découvrir les phénomènes subtils qu’aucun signe extérieur ne révèle, et qui, néanmoins, ont dû se dégager de la manière intime dont les faits se sont enchaînés. Mais là ne s’arrête pas, cependant, la mission de la critique, et, une fois cette sentence suprême obtenue, il lui reste encore à en faire ressortir la justesse, afin de la garantir non seulement de toute fausse interprétation, mais aussi de l’abus qu’on en pourrait faire dans des applications maladroites.

C’est donc à la sentence exprimée par le résultat qu’il faut s’adresser, en dernier ressort, pour tout ce que l’esprit d’observation est impuissant à faire connaître, et, par conséquent, dès qu’il s’agit des forces morales et des effets qu’elles produisent. Entre toutes, en effet, ce sont ces forces qui se prêtent le moins à ce qu’on les apprécie avec exactitude, et, cependant, elles tiennent de si près à la volonté, qu’elles en déterminent tout particulièrement le caractère.