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de la critique.

accepté une paix désavantageuse, la campagne de Russie eût aussitôt pris place dans la brillante série de celles d’Austerlitz, de Friedland et de Wagram ; et de l’autre, par contre : que si ces trois dernières campagnes n’eussent pas abouti à la paix, chacune d’elles eût conduit à une catastrophe stratégique analogue à celle de la campagne de 1812. On voit ainsi que, quelles qu’aient été l’adresse, la force et la sagesse que le conquérant du monde ait déployées dans chacune de ces campagnes, ce n’en est pas moins la destinée qui, dans toutes, a prononcé en dernière instance. Est-ce à dire, cependant, qu’il faille, pour cela, condamner les campagnes de 1805, 1807 et 1809, et prétendre, en raison de celle de 1812 qui n’a pas réussi, qu’elles furent toutes trois des œuvres d’imprudente témérité, que, dans chacune d’elles, le résultat a été contraire à la nature des choses, et que, en 1812 seulement, le véritable talent stratégique a enfin triomphé de la fortune aveugle ? Ce serait là porter un jugement passionné, tyrannique et outré, et dont on n’arriverait pas à faire la moitié de la preuve, car il n’est pas d’intelligence humaine capable de suivre assez loin la manière dont les choses s’enchaînent, pour en déduire à quelle résolution suprême un souverain vaincu s’arrêtera en fin de compte.

On serait, cependant, encore moins fondé à avancer que la campagne de 1812 était digne de réussir au même titre que les trois campagnes précédentes, et que, si néanmoins elle a échoué, il le faut uniquement attribuer à quelque chose d’inattendu, car on ne saurait dire que l’on ne pouvait absolument pas s’attendre à la ténacité et à la force de caractère dont l’empereur Alexandre a fait preuve dans ces graves circonstances.

À notre avis, rien n’est plus naturel que de dire que, en 1803, 1807 et 1809, Bonaparte a bien jugé ses

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