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de la critique.

Cette situation élevée que prend ainsi la critique, cette manière de ne répartir l’éloge ou le blâme qu’après avoir, au préalable, acquis la connaissance absolue des faits, n’ont rien d’ailleurs qui blesse nos sentiments, et nous n’y trouvons à redire que lorsque, se mettant personnellement en avant, l’écrivain semble attribuer uniquement à son talent la découverte de ce que la connaissance parfaite des événements lui a seule révélé. Quand la vanité fait commettre ce grossier mensonge, — et le fait est assez fréquent, — il excite naturellement de la répulsion ; mais il arrive, plus fréquemment encore, que l’écrivain agisse de la sorte sans en avoir vraiment conscience, et comme, dès lors, il ne pense pas à s’en disculper, il donne immédiatement, par cela même, la preuve du peu d’étendue de son jugement.

On voit par ces considérations que, lorsque la critique signale, après coup, des fautes commises par des généraux tels que Frédéric ou Bonaparte, cela ne signifie nullement que celui qui exerce la critique n’aurait pas commis les mêmes fautes, et il pourrait même ajouter que, s’il eût été à la place de ces grands hommes, il en eût très probablement commis de beaucoup plus grandes. Il n’entend uniquement dire, par là, que c’est la connaissance postérieure de la manière dont les événements se sont enchaînés, qui lui a révélé que Frédéric et Bonaparte se sont trompés en procédant comme ils l’ont fait dans ces circonstances, et que l’on devait attendre de leur coup d’œil habituel qu’ils agissent autrement.

C’est donc là un raisonnement par l’enchaînement des choses, et, par conséquent, un jugement par le résultat. Mais le résultat exerce une autorité très différente sur le jugement, lorsqu’on ne cherche uniquement à en tirer qu’une preuve pour ou contre un moyen mis en œuvre, et, dans ce cas, on prononce un jugement d’après le