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de la théorie de la guerre.


Le savoir doit se transformer en aptitudes effectives.


Il nous reste, enfin, à mentionner cette dernière condition, plus tyrannique encore à la guerre que dans aucune des autres branches de l’activité humaine, que, dans son application, le savoir doit se soumettre entièrement à la direction de l’esprit, et perdre à peu près toutes ses propriétés objectives. Dans presque tous les arts comme dans presque tous les métiers, il est certaines vérités qu’il suffit d’avoir une seule fois entrevues, pour les pouvoir toujours retrouver au besoin dans les livres, et dont, par conséquent, il n’est pas nécessaire de conserver sans cesse par devers soi l’esprit et le sens ; tandis que d’autres, par le retour constant de leur application, se prêtent à ce qu’on en fasse un emploi à peu près machinal. Lorsque, par exemple, un architecte prend la plume pour déterminer par un calcul compliqué la force d’un pied-droit, il soumet les données dont il dispose à une opération intellectuelle, il est vrai, mais dont il n’a pas découvert la loi, à la nécessité de laquelle il ne songe pas dans le moment même, et qu’il accomplit en grande partie par routine. Il n’en est jamais ainsi à la guerre, où la réaction morale et la forme incessamment changeante des choses font que, partout et à chaque instant, celui qui est chargé de la direction doit être prêt à faire application de son savoir, de ses aptitudes et de son expérience, et être en mesure de trouver en lui-même les motifs déterminants d’une décision. En s’assimilant ainsi complètement à l’esprit et à la vie, le savoir se transforme véritablement en pouvoir. C’est par cette raison que tout paraît si facile et si simple à la guerre, quand des hommes distingués la dirigent, que l’on en arrive à y tout attribuer au talent naturel. — Nous employons ici cette épithète, pour bien