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de la nature de la guerre.

l’avant-dernier relais, mais, arrivé là, il ne trouve plus de chevaux, ou du moins ceux qu’il trouve ne valent rien ; l’obscurité devient profonde, la contrée est montagneuse et les chemins sont mauvais. Bref, notre homme est contraint de s’arrêter et peut encore s’estimer heureux s’il découvre un mauvais gîte pour y passer la nuit. C’est ainsi que, en raison d’un nombre infini de petites circonstances dont on ne saurait jamais tenir compte par avance, rien ne va comme on l’a prévu à la guerre, et que l’on reste toujours de beaucoup en deçà du but que l’on espérait atteindre. Sous l’impulsion d’une volonté de fer, ainsi que nous aurons maintes fois l’occasion de le constater au courant de ces études, la machine parvient à surmonter ces difficultés et à briser tous les obstacles, mais elle s’use en même temps. Comme ces obélisques que l’on élève dans les carrefours au point de départ des routes principales d’une contrée, l’énergique volonté du chef constitue le centre d’où tout rayonne dans l’art militaire.

Le frottement qui se produit en mécanique permet seul de se faire une idée assez générale de ce qui différencie la guerre réelle de la guerre sur le papier. La machine militaire, — l’armée et tout ce dont elle se compose, — est foncièrement très simple, et il semble qu’il soit facile de la diriger ; mais il faut considérer qu’elle se subdivise dans chacune de ses parties, et que la moindre de ses subdivisions se fractionne elle-même en un certain nombre d’individus. D’après la théorie, le bataillon constituant une unité, dont le chef choisi en raison de son zèle reconnu est responsable de l’exécution des ordres donnés, chaque bataillon, dans l’armée, doit fonctionner avec autant de facilité qu’un arbre de couche qui tourne à faible frottement sur son pivot d’acier. Il est loin d’en être ainsi cepen-