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de la nature de la guerre

Cette difficulté, déjà considérable lorsqu’il ne s’agit que des premières résolutions à prendre dans le cabinet ou lorsque l’on se trouve encore en dehors de la sphère des opérations, le devient bien davantage lorsque les nouvelles se succèdent sans interruption dans le tumulte même de la guerre. Pour tout chef qui n’a pas encore une suffisante expérience, c’est alors un bonheur quand, en se contredisant, les nouvelles s’annulent et appellent d’elles-mêmes la critique et le jugement ; mais, lorsque le hasard ne lui rend pas ce service, c’est-à-dire quand les nouvelles s’appuient, se corroborent et se renforcent en se succédant, elles en arrivent à prendre une telle autorité sur son imagination, qu’elles finissent par lui arracher une décision dont il lui faut bientôt reconnaître l’erreur, en même temps que la fausseté, le mensonge ou l’exagération des rapports auxquels il s’est laissé aller à ajouter foi. En d’autres termes, la plupart des renseignements sont faux à la guerre, et, comme par sa nature l’homme est toujours porté à s’exagérer le mal et à y croire plutôt qu’au bien, il se crée une foule de dangers imaginaires qui s’évanouissent sans cesse comme les vagues de la mer et, comme elles, reviennent sans cesse à l’assaut. Dans ces conditions, pour inspirer confiance aux autres et pour rester lui-même en équilibre, le chef doit se montrer inébranlable comme le rocher contre lequel les flots viennent se briser. Le rôle n’est pas facile, et, lorsqu’on ne possède pas un grand sang-froid et une grande puissance de jugement, on n’y peut réussir, à défaut d’expérience, qu’en s’interdisant toute opinion personnelle sur la situation, et en fermant de parti pris son cœur à la crainte pour n’y laisser accès qu’à l’espérance.

Cette difficulté de voir juste est l’une des principales causes des nombreux frottements qui se produisent dans le fonctionnement de la machine de guerre, et