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le plan de guerre.

Il dirigea le gros de ses forces contre le gros de celles des Russes qu’il contraignit tout d’abord à reculer par Drissa jusqu’à Smolensk, et, Bagration se trouvant entraîné dans le mouvement, il battit les deux armées et s’empara de Moscou. C’est ainsi qu’il avait toujours fait et qu’il en était arrivé à subjuguer l’Europe ; de sorte que, lorsqu’on l’admire comme le plus grand des généraux dans toutes ses campagnes précédentes, c’est être inconséquent que de le blâmer d’avoir agi comme il l’a fait dans celle de 1812.

Dans le jugement à porter sur un événement, on peut sans doute prendre en considération le résultat que cet événement a produit, mais un esprit sage ne s’en tient pas à ce critérium unique. Il en est de même de la critique d’une campagne malheureuse, elle ne peut reposer sur l’énumération seule des causes qui l’ont fait échouer, et, avant de blâmer le général en chef, il faut prouver qu’il eût pu découvrir ces causes et y obvier.

Pour nous, condamner la campagne de 1812 en raison du formidable contre-coup qu’elle a provoqué, alors qu’on n’eût pas trouvé d’expression suffisante pour en proclamer la sublime grandeur si elle eût réussi, c’est faire preuve du jugement le plus arbitraire et le plus faux.

La plupart des critiques reprochent à Bonaparte de n’être pas resté en Lithuanie pour s’assurer des places fortes de cette province — qui n’en compte que deux, d’ailleurs, l’une, Riga, absolument placée sur le côté, et l’autre, Bobruisk, qui n’est qu’une bicoque sans importance. — Or, s’il eût agi ainsi, il se fût placé pour tout l’hiver dans une situation défensive déplorable, et les mêmes critiques ne manqueraient pas de s’écrier : « Comment ! il ne marche pas droit à une bataille générale ! Ah ! ce n’est plus l’ancien Bonaparte, le héros