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chap. ix. — renversement de l’ennemi.

plus haut, on voit des États succomber sous les efforts successifs de l’attaque, cela prouve qu’il n’y a pas de règles sans exception et que, parfois, le temps peut être défavorable à la défense, mais, par contre, combien plus nombreux sont les exemples où l’attaque a échoué grâce à la lenteur de son action ! Qu’on se rappelle, à ce propos, la guerre de Sept ans à laquelle les Autrichiens apportèrent tant de nonchalance, de calcul et de circonspection qu’ils manquèrent absolument leur but.

Nous condamnons donc toute tendance à subordonner la marche en avant à la bonne organisation du théâtre de guerre, manière d’agir à laquelle on ne doit se résoudre que comme à un mal nécessaire, c’est-à-dire lorsque l’on a perdu tout espoir de succès en avant.

Loin d’infirmer notre opinion à ce sujet, l’exemple de Bonaparte en 1812 la confirme.

S’il échoua dans cette campagne, ce n’est pas, comme on le lui reproche généralement, pour s’être trop rapidement et trop profondément avancé dans l’intérieur du pays, mais bien seulement parce que les seuls moyens sur lesquels il pût compter pour réussir lui manquèrent tous. Il n’est pas de puissance en Europe qui dispose de forces assez grandes pour occuper, et par conséquent pour conquérir un empire d’aussi vastes dimensions que la Russie, et les 500 000 hommes que commandait alors Bonaparte n’y pouvaient suffire. Un pareil colosse ne peut succomber que par sa propre faiblesse, c’est-à-dire par la discorde et la guerre intestine. Or, pour menacer l’existence politique d’un État, c’est au cœur même qu’il le faut atteindre, et Bonaparte ne pouvait songer à ébranler la fidélité et la constance du peuple russe qu’en se portant d’un bond sur Moscou. Il espérait conclure la paix dans cette ville, et, dans le fait, c’était là le seul but qu’il pût raisonnablement poursuivre dans cette guerre.