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chap. iv. — détermination plus précise du but.

manifestement dans la situation de celui qui succombe que le temps peut le plus promptement apporter un changement favorable. Les États neutres ne voient pas sans envie, sans jalousie et sans inquiétude les succès du vainqueur, et ces sentiments, ainsi parfois que celui d’une généreuse sympathie pour le vaincu, deviennent les plus sûrs appuis de celui-ci, soit qu’ils lui créent des alliés, soit qu’ils en enlèvent à son adversaire. Nous avons déjà reconnu, d’un autre côté, que l’utilisation d’une première victoire exige de la part du vainqueur une très grande dépense de forces non seulement immédiate mais même longtemps prolongée ; or les ressources qu’il tire des provinces dont il s’est emparé ne suffisent pas toujours à ce surcroît de dépenses et, comme ses obligations augmentent peu à peu, il peut arriver qu’il soit hors d’état d’y satisfaire, et, dès lors, le temps amène à lui seul un revirement dans la situation.

Quelle comparaison établir entre les ressources de toutes sortes que Bonaparte put tirer de la Pologne et de la Russie en 1812 et les 100 000 hommes qu’il lui eût fallu envoyer à Moscou pour pouvoir se maintenir dans cette ville ?

Ce n’est, en somme, que lorsque le mal commence à s’étendre comme un ulcère rongeur, c’est-à-dire lorsque les provinces déjà conquises ont, par elles-mêmes ou par leur situation, une assez grande importance pour entraîner, dans un temps plus ou moins long et sans efforts nouveaux, la soumission du reste du territoire, ce n’est qu’alors, disons-nous, que le conquérant peut plus gagner que perdre à la prolongation de l’état des choses. Dans ce cas, en effet, si l’envahi ne reçoit aucun secours extérieur, le temps peut à lui seul achever l’œuvre commencée. Mais, lorsque le temps devient ainsi son auxiliaire, c’est précisément au moment où