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chap. ii. — guerre absolue et guerre réelle.

fausse absolument l’idée de la guerre, en change la nature, en amoindrit la puissance et en détruit l’homogénéité.

Telle est cependant la forme bâtarde que l’action militaire a presque toujours revêtue jusqu’à l’époque récente où, après un court prélude exécuté par la Révolution française, Bonaparte, bientôt imité par ses adversaires, a fait voir l’extrême intensité de puissance qu’atteint la guerre lorsqu’on la poursuit sans repos ni trêve tant que l’ennemi n’est pas terrassé.

Ce phénomène a naturellement ramené la théorie au concept primitif de la guerre et à toutes ses conséquences rigoureuses. Avant de passer à la discussion du plan de guerre, il nous faut donc chercher à nous rendre compte s’il en sera désormais invariablement toujours ainsi ou s’il peut encore arriver qu’à l’avenir la guerre se présente dans les formes amoindries qu’elle affectait autrefois. Il est certain, en effet, que dans la première de ces suppositions les déductions à en tirer seraient plus faciles pour la théorie qui deviendrait ainsi plus claire, plus positive et plus invariable. Mais alors comment expliquer la forme constante dans laquelle se sont produites toutes les guerres qui ont précédé celles de Bonaparte à l’exception de celles d’Alexandre et de quelques campagnes des Romains ? Ne nous faudrait-il pas les rayer de l’histoire, et n’y aurait-il pas de l’arrogance à les reléguer ainsi aux archives comme des méthodes hors d’usage ? Enfin si, contre nos prévisions, dans quelques dix années une guerre de ce genre venait à éclater, si judicieuse et logique que soit notre théorie ne se trouverait-elle pas impuissante en présence des événements ?

Nous sommes ainsi conduits à considérer la guerre non telle qu’elle devrait être d’après son concept mais telle qu’elle est dans la réalité, c’est-à-dire avec tous