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chap. xxv. — retraite dans l’intérieur du pays.

pression des sentiments publics que fera naître l’application de ce procédé défensif.

Il faut convenir, d’ailleurs, que, en entrant ouvertement dans la carrière dès les premiers pas de l’invasion et en lavant immédiatement dans le sang de l’envahisseur l’outrage fait à la patrie, une nation donnera toujours une idée plus naturelle et tout à la fois plus saisissante et plus noble de son caractère et de sa grandeur morale.

Tels sont le pour et le contre du procédé défensif que nous venons d’exposer. Passons maintenant aux conditions et aux circonstances qui le favorisent.

Une grande surface de territoire ou, du moins, une grande longueur de ligne de retraite, telle est la condition foncière capitale. On comprend, en effet, que quelques journées de marche ne sauraient affaiblir sensiblement l’envahisseur. En 1812, à Witepsk, le centre de l’armée de Bonaparte était de 250 000 hommes ; à Smolensk il en comptait encore 182 000, et ce n’est qu’à Borodino (la Moskowa) que cet effectif étant descendu à 120 000 se trouva égaler celui de l’armée russe. Or Borodino est situé à 90 milles (666 kilomètres) de la frontière, et ce fut à Moscou seulement que l’effectif des Français devint sensiblement inférieur à celui des Russes. La fortune des deux armées changea dès lors, et la victoire même que Bonaparte remporta à Malojaroslawitz fut impuissante à rétablir l’équilibre perdu.

Mais la Russie a seule de si vastes dimensions, et, des autres États de l’Europe, il en est peu sur lesquels une ligne de retraite pourrait atteindre un développement de 100 milles (740 kilomètres). Il est vrai, par contre, qu’il ne se présentera pas facilement de puissance comparable à celle à laquelle était parvenu l’Empire français en 1812, et encore moins, en tout cas, de