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de la stratégie en général.

forces réunies sur un même point, c’est, néanmoins, encore la supériorité numérique qui tranche ici la question, car, grâce à elle, on a moins de danger à s’étendre, et cela procure aussitôt de nouvelles conditions d’entretien et d’emplacement.

Lorsque Bonaparte envahit la Russie en 1812, il réunit ses troupes en masses énormes sur une seule et même route, et les exposa ainsi aux plus extrêmes privations. Il ne faut cependant attribuer cette manière inusitée de procéder qu’au principe favori de ce grand général, de ne pouvoir jamais être trop fort sur le point décisif. Que le principe ait ou non été exagéré dans cette application, c’est une question que nous n’avons pas à examiner ici ; toujours est-il que l’espace ne manquant pas en Russie, si l’Empereur eût voulu mettre fin aux privations qu’il avait ainsi provoquées, il n’eût eu qu’à poursuivre sa marche en répartissant ses colonnes sur un front plus étendu. On ne saurait donc conclure de cet exemple, que l’emploi simultané de forces très supérieures amène nécessairement de très grandes privations et, par conséquent, un affaiblissement consécutif considérable. Alors même, d’ailleurs, qu’au lieu de s’avancer dans cet ordre, Bonaparte eût laissé sur ses derrières, soit comme réserve stratégique, soit pour ne l’employer que plus tardivement, la partie de son armée qu’il eût considérée comme excédant le chiffre effectif des forces avec lesquelles il estimait devoir tout d’abord pénétrer en Russie, il faudrait encore, après avoir pris en considération les pertes que cette réserve elle-même eût faites par suite des intempéries et des fatigues inévitables du service en campagne, embrasser de nouveau la situation ainsi modifiée dans son ensemble, et rechercher enfin si, malgré l’allègement que cette manière de procéder eût apporté aux privations du gros de l’armée, le gain qui s’en fût suivi eût compensé celui que, par maintes