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chap. v. — vertu guerrière de l’armée.

créer, et, bien que ces moyens aient ainsi leur valeur, il ne se la faut cependant pas exagérer. De l’ordre, de la dextérité, de la bonne volonté, de très bons sentiments, une certaine fierté même, tels sont les signes caractéristiques d’une armée formée en temps de paix ; on les peut estimer, mais ils n’ont aucune consistance. Ce n’est ici, en effet, que la masse qui retient la masse. Qu’une seule fissure se produise, et tout se désagrège, ainsi que se brise un verre trop subitement refroidi. Ce sont les plus beaux sentiments dont il faut, alors, particulièrement se méfier ; ils ne sont, la plupart du temps, que des gasconnades, des hâbleries de poltron, qui, au premier insuccès, ne se transforment que trop vite en anxiété et en peur, pour en arriver, parfois même, au sauve qui peut de l’expression française. Par elle-même, une pareille armée est incapable de rien produire ; elle ne prend de valeur qu’en raison de la direction qui lui est donnée. Il la faut conduire avec une extrême prudence, jusqu’à ce que, peu à peu grandies par les efforts et confirmées par la victoire, ses forces morales l’élèvent, enfin, à la hauteur du rude labeur et de la lourde tâche qu’elle doit accomplir. Il faut donc se bien garder de prendre les sentiments exprimés par une armée, pour l’expression réelle de l’esprit dont cette armée est animée.