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de la stratégie en général.

branlable solidité d’une armée peuvent accomplir. Il faudrait n’avoir jamais consulté les témoignages de l’histoire, pour ne pas reconnaître que s’ils n’avaient pas disposé de pareilles armées, ces grands généraux, malgré tout leur génie, n’eussent jamais réalisé de si hauts faits, ni atteint des résultats si merveilleux.

La vertu guerrière d’une armée ne peut naître que de deux sources, bien qu’encore ces sources ne la produisent qu’en commun : une série de guerres et de succès, et, dans la poursuite de ces guerres, une activité incessante, fréquemment portée à ses plus extrêmes limites. Le soldat apprend, ainsi, à connaître ses forces ; plus on lui demande habituellement d’efforts, et plus il est disposé à en faire ; il est aussi fier des fatigues qu’il a surmontées que des dangers qu’il a affrontés et courus. On voit donc que, semblable à certaines plantes qui ne peuvent germer et grandir que sur un sol aride et brûlant, la vertu guerrière exige, pour naître et se développer, et le soleil de la victoire et l’activité et les efforts les plus soutenus. Lorsque enfin elle a atteint son summum, c’est un arbre aux racines puissantes, qui résiste aux plus violentes tourmentes de la défaite et de l’infortune. Née de la guerre, et ainsi produite par le génie des grands généraux, elle peut, désormais, se prolonger pendant de longues années de paix, à travers plusieurs générations, même sous la direction de généraux médiocres.

On ne saurait confondre l’esprit de noble solidarité qui unit entre elles les bandes éprouvées de ces vieux soldats endurcis aux fatigues et couverts de cicatrices, avec la vaniteuse suffisance des armées permanentes dont les éléments ne tiennent ensemble que par la puissance des règlements de service et d’exercice. Une certaine sévérité, une discipline rigoureuse, peuvent aider au maintien de la vertu guerrière, mais ne sauraient la