Page:Clausewitz - Théorie de la grande guerre, I.djvu/356

Cette page a été validée par deux contributeurs.
345
chap. xiv. — de l’alimentation des troupes.

cipe d’aucune conséquence fâcheuse. Il est certain que l’abnégation est l’une des plus grandes et des plus nobles vertus guerrières, et que sans cette vertu il n’y a pas d’armée animée d’un véritable esprit militaire, mais encore faut-il que les privations ne soient que momentanées, et que, manifestement causées par la force même des circonstances, elles ne soient jamais la suite d’un système constant d’administration ou d’un calcul de mesquine et coupable économie. Dans le premier cas la force morale du soldat soutiendra sa force physique, dans le second l’une et l’autre succomberont bientôt. Ce que Frédéric le Grand accomplit avec son armée ne saurait servir ici de mesure, d’abord parce que ses adversaires avaient le même système d’approvisionnement, et ensuite par ce qu’on ne sait pas quels plus grands résultats il eût obtenus, s’il eût pu faire vivre ses troupes comme le fit plus tard Bonaparte toutes les fois que les circonstances le permirent.

La subsistance des chevaux ne reposa cependant jamais sur ce système d’approvisionnement, et cela en raison de la difficulté de transport que présentent le poids et le volume des fourrages.

Une ration de fourrage pèse, en effet, environ dix fois plus qu’une ration de vivres. Or il est rare que l’effectif des chevaux ne soit dans une armée que le dixième de celui des hommes ; aujourd’hui même il en est encore le quart ou le tiers, et jadis il en était le tiers et souvent la moitié. Par suite, le poids total des rations de fourrage qu’il eût ainsi fallu transporter à la suite des troupes eût été de deux à cinq fois supérieur à celui des rations de vivres. On ne pouvait réellement songer à effectuer de pareils transports. On dut donc, de toute nécessité, assurer directement la nourriture des chevaux au moyen de fourrages au vert exécutés sur l’emplacement même où l’on se trouvait. Cependant on