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les forces armées.

plus, une armée n’arrive jamais que fort affaiblie à destination, surtout sous le rapport de la cavalerie et du train. Mais dès que ces longs mouvements doivent se produire dans la zone même des hostilités, c’est-à-dire à proximité ou sous les yeux de l’ennemi, les inconvénients de cette nouvelle situation s’ajoutent à ceux que nous venons d’énumérer, et pour peu qu’il s’agisse de masses de troupes considérables ou que les circonstances soient défavorables, les pertes peuvent atteindre des dimensions incroyables.

Nous allons en donner quelques exemples.

Lorsque Bonaparte passa le Niémen le 24 juin 1812, la partie centrale de son armée qui atteignit plus tard Moscou comptait 301 000 combattants.

Depuis lors 13 500 hommes furent détachés de cette masse qui aurait par conséquent dû en présenter encore 287 500 lorsqu’elle parvint le 15 août à Smolensk ; or à ce moment l’effectif se trouva être descendu à 182 000, ce qui accusait déjà une perte de 105 500 hommes. Cependant il ne s’était encore produit que deux combats importants, l’un entre Davout et Bagration, l’autre entre Murat et Tolstoy-Ostermann, et l’on ne saurait raisonnablement porter à plus de 10 000 hommes le chiffre des pertes des Français dans ces deux affaires. On voit donc que dans ces premiers 52 jours et sur une distance de 70 milles (319 kilomètres) à vol d’oiseau, la perte de cette partie de l’armée française, tant en traînards qu’en malades, atteignit le chiffre de 95 000 hommes, c’est-à-dire le tiers de l’effectif général de l’armée.

Trois semaines plus tard, lors de la bataille de Borodino (la Moskowa), cette perte montait déjà à 144 000 hommes, y compris les hommes tombés dans les combats, et enfin huit jours après 198 000 hommes manquaient à l’appel à Moscou. Les pertes générales des