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de la stratégie en général.

prendre l’extrême valeur, ainsi que la nécessité absolue de les faire entrer dans tous les calculs. En agissant de la sorte, la théorie fait œuvre d’intelligence et condamne, de prime abord, quiconque a la folle pensée de ne baser ses combinaisons que sur les forces matérielles seules. Nous ne saurions le dire trop haut, en effet, c’est une pauvre philosophie que celle qui, d’après l’ancienne méthode, niant la puissance des grandeurs morales, crie à l’exception lorsqu’elles manifestent leur action, et cherche, alors, à expliquer ce résultat par de prétendus procédés scientifiques. En dernier ressort cette vaine philosophie en appelle, parfois même, au génie qu’elle place, alors, au-dessus de toutes les règles, donnant ainsi à entendre que, lorsqu’elles sont faites par les sots, les règles, elles-mêmes, ne sont que des sottises.

Les effets des forces physiques et ceux des forces morales se pénètrent réciproquement à un degré tel, qu’on ne peut les séparer les uns des autres, comme, par un procédé chimique, les divers métaux d’un amalgame, de sorte que, alors même qu’elle prétendrait ne règlementer que les efforts matériels, une théorie n’en serait pas moins contrainte d’entrer dans le domaine des grandeurs morales. Bien plus, à moins de n’édicter que des principes tellement catégoriques, que, dans l’application, ils seraient ou trop étendus et trop audacieux, ou trop limités et trop timides, la théorie ne peut assujettir les efforts physiques qu’à des actions à l’élaboration desquelles la pensée des grandeurs morales a présidé. Les théories les plus matérialistes ont, elles-mêmes, bien qu’à leur insu, obéi à cette nécessité. C’est ainsi, par exemple, que l’on n’a jamais songé à supputer les suites qu’une victoire devait avoir, sans tenir compte de l’effet moral qu’elle allait produire. La plupart des objets que nous allons examiner dans ce livre