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le combat.

Borodino n’y portèrent en ligne que 120 000 combattants, alors qu’au passage du Niémen leur effectif montait encore à 300 000 hommes, pouvait avoir la redoutable préoccupation de ne plus disposer d’assez de monde, après la bataille, pour marcher sur Moscou, point objectif de tous ses calculs. Dans les limites qu’il se contenta de lui donner, la victoire de Borodino semblait au contraire le laisser en situation d’arriver à ce résultat. Il était peu probable, en effet, que pendant les huit jours encore nécessaires aux Français pour atteindre Moscou, l’armée battue fût de nouveau en mesure de leur en disputer la route. Bonaparte espérait conclure la paix dans cette ville, ce à quoi la destruction de l’armée russe eût puissamment contribué, il est vrai, mais encore fallait-il avant tout arriver à Moscou, et y arriver en maître, c’est-à-dire avec assez de forces pour en imposer à l’opinion publique et au gouvernement. Or ce qu’il y porta d’hommes n’y suffit pas ; à plus forte raison en eût-il été de même si, pour rendre sa victoire plus décisive, il en eût encore sacrifié un plus grand nombre à Borodino. C’est là ce qui explique et justifie complètement à nos yeux la manière dont Bonaparte procéda dans cette bataille.

Quant à la seconde opinion, les mêmes raisonnements en montrent l’inanité. Dès 4 heures de l’après-midi la victoire était irrévocablement acquise aux Français, bien avant qu’ils pussent songer à en augmenter la portée par la poursuite du vaincu. Les Russes, en effet, occupaient encore la plus grande partie du champ de bataille et étaient résolus à ne le céder qu’après la plus énergique résistance. Pour les en chasser il eût donc fallu renouveler l’attaque, ce qui se fût infailliblement terminé par leur défaite complète il est vrai, mais eût encore coûté beaucoup de sang au vainqueur.