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chap. i. — de la stratégie.

partie de sa force. Il en résulte qu’alors qu’ils devraient agir, la plupart des généraux en chef restent immobiles, paralysés par de fausses appréhensions.

Jetons, à ce sujet, un coup d’œil sur l’histoire, et laissons-le tomber sur la campagne de 1760 que les marches et les manœuvres du grand Frédéric ont rendue si célèbre, et que la critique signale comme un vrai chef-d’œuvre d’art militaire. Nous y voyons le Roi chercher incessamment à tourner tantôt le flanc droit, tantôt le flanc gauche de Daun. Y a-t-il donc en cela quelque chose de si extraordinaire, et pouvons-nous, sans affectation, y trouver la marque d’une science profonde ? Non, certes. Ce qui, par contre, nous paraît admirable dans cette campagne, et ce qui, d’ailleurs, se rencontre dans chacune des trois guerres du grand Roi, c’est la sagesse avec laquelle, poursuivant un grand but et ne disposant que de forces limitées, il ne tenta jamais rien qui fût au-dessus de ses moyens, et cependant précisément assez pour arriver à ses fins.

Son but, dans la campagne de 1760, était d’obtenir des conditions de paix telles, que la possession de la Silésie lui fût définitivement garantie.

Souverain d’un petit État qui ne se distinguait guère des États voisins que par certaines branches administratives, Frédéric n’était pas en situation de devenir un Alexandre, et, s’il eût voulu être un Charles XII, il eût trouvé le même sort que ce dernier. C’est ce qui explique pourquoi, dans la direction de ses guerres, il apporta une constante pondération dans l’emploi des forces dont il disposait, que celles-ci, restant sans cesse en équilibre, se trouvaient toujours en situation de produire, à un moment donné, les plus énergiques efforts, pour, l’instant d’après, rentrer dans le calme, et se plier aux moindres exigences de la politique. C’est en suivant invariablement cette voie, dont l’ambition, la