Page:Clausewitz - Théorie de la grande guerre, I.djvu/170

Cette page a été validée par deux contributeurs.
159
ch. x. — bataille générale. — effets de la victoire.

enfin, les armées sont en présence, l’action commence, la bataille s’engage, et Dieu seul sait quelle en sera l’issue !

Le général en chef n’est pas seul sous l’empire de cette tension d’esprit, et bien qu’à la vérité elle perde de son intensité à mesure que l’échelle hiérarchique s’abaisse, elle s’empare, jusqu’au dernier soldat du train, de l’universalité des individus qui composent l’armée. On n’a donc jamais improvisé une bataille générale, et de tout temps, en partie par sa nature même, en partie en raison de l’instrument puissant que le diapason élevé auquel elle porte les esprits constitue pour la direction générale, elle a été considérée comme un acte grandiose, absolument en dehors des autres actions de la guerre. Or plus la tension d’esprit qu’une action provoque est grande, et plus grands sont nécessairement les effets moraux que son issue produit.

Si cependant les effets moraux de la victoire se sont montrés plus considérables encore dans les batailles des dernières guerres que dans celles des guerres précédentes de l’histoire moderne, cela tient à ce que les forces opposées n’ayant uniquement cherché qu’à se renverser et à s’anéantir réciproquement dans ces batailles, leur action physique et leur action morale réunies y ont exercé bien plus d’influence sur la décision que toutes les dispositions particulières et les coups du hasard.

Alors que l’on se rend compte d’une faute que l’on a commise, il est en général facile de la réparer ; la chance, mauvaise aujourd’hui, peut être bonne demain ; mais les pertes en forces morales et en forces physiques ne se modifient pas avec cette rapidité, de sorte que la sentence qu’une victoire prononce sur ces forces conserve son importance pendant toute la durée d’une guerre. C’est là, il est vrai, une considération à laquelle