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de la stratégie en général.

la route, et que le bon sens n’y peut rien comprendre. Tels sont aussi les feintes, les parades, les moitiés et quarts de chocs des anciennes guerres, où certains théoriciens veulent voir le suprême de l’art, le but de toute théorie, la prédominance de l’esprit sur la matière, alors que, par contre, ils traitent les dernières guerres de manifestations brutales où l’on n’a rien à apprendre, et qui ramènent le monde à la barbarie.

Cette façon de voir est aussi mesquine que l’objet de son admiration.

Disons tout d’abord, en effet, qu’on ne peut persévérer dans cette manière réduite de conduire la guerre, qu’à la condition expresse que l’adversaire y consente, car, dès qu’il veut enchérir, il faut aussitôt le suivre dans cette voie nouvelle. Cela dit, il est certain que là où il ne se rencontre ni passion ni énergie, une prudence habile trouve son jeu ; mais n’est-ce pas une plus noble fonction de l’intelligence, une plus haute activité de l’esprit, de diriger de grandes forces et de gouverner dans la tempête contre les flots et les vents déchaînés ? Qui peut plus ne peut-il pas moins, d’ailleurs, et qui sait diriger une grande guerre ne saura-t-il pas, implicitement, en diriger une où l’énergie sera moins nécessaire ? Les Autrichiens, confiants dans leurs vieilles méthodes de guerre, n’ont-ils pas été surpris, et leur monarchie n’a-t-elle pas été ébranlée jusque dans ses fondements par l’attaque impétueuse de Frédéric le Grand ? Et nous-mêmes, Prussiens, n’en avons-nous pas fait la triste expérience, et la Révolution française ne nous a-t-elle pas attaqués en pleine sécurité imaginaire, et entraînés dans son mouvement de Châlons à Moscou ? Malheur au gouvernement qu’une politique de demi-mesures et une organisation militaire incomplète exposent aux convoitises d’un adversaire qui ne connaît d’autre loi que sa force matérielle, et ne s’arrête que là