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chap. xvi. — du temps d’arrêt.

le four que pour y enfourner le pain ; on n’attelle les chevaux que pour faire usage de la voiture. Pourquoi apporterait-on de si monstrueux efforts à la guerre, si l’on ne devait arriver par là qu’à en provoquer d’aussi grands de la part de l’adversaire ?

Semblable à un mouvement d’horlogerie, l’action doit, en dehors des cas particuliers qui sortent de la nature des choses, se dérouler d’une façon générale et sans interruption jusqu’à épuisement complet. Mais, de même que dans une horloge des contrepoids s’opposent au déroulement trop rapide du mouvement, trois causes peuvent ici modifier le principe et modérer la marche de l’action.

La première est la paralysie morale qui naît de la timidité et de l’indécision dans lesquelles la crainte de la responsabilité jette habituellement l’esprit humain, dans les situations graves et les grands dangers. Les natures ordinaires ne se mouvant que difficilement dans l’ardent milieu de la guerre, plus la campagne se prolonge et plus s’accentue la tendance aux temps d’arrêt. Il est rare que l’incitation du but à atteindre suffise à vaincre cette cause d’inertie, si bien qu’à moins qu’une grande autorité ne pousse à l’action ou que le commandement ne soit aux mains d’un général entreprenant et résolu qui se sente à la guerre dans son véritable élément, rester immobile devient la règle et agir est l’exception.

La seconde cause de retard provient de l’imperfection du jugement et de l’insuffisance de la pénétration de l’esprit humain, imperfection et insuffisance incomparablement plus grandes à la guerre que dans toutes les autres branches de l’activité humaine. En campagne, en effet, alors qu’à tout instant on ne se rend qu’à peine compte de sa propre situation, celle de l’ennemi, incessamment voilée, ne se laisse deviner qu’à de faibles in-