Page:Claudine a l'Ecole.pdf/349

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souple, petite, et blottie, et légère comme un flocon.

Mlle Sergent a disparu, à présent, peut-être vexée de voir sa favorite valser, malgré ses objurgations, avec un grand faraud blond qui la serre, qui l’effleure de ses moustaches et de ses lèvres, sans qu’elle bronche. Il est une heure, je ne m’amuse plus guère et je vais aller me coucher. Pendant l’interruption d’une polka (ici, la polka se danse en deux parties, entre lesquelles les couples se promènent à la queue-leu-leu autour de la salle, bras sur bras) j’arrête Luce au passage et la force à s’asseoir une minute :

— Tu n’en es pas fatiguée, de ce métier-là ?

— Tais-toi ! Je danserais pendant huit jours ! Je ne sens pas mes jambes…

— Alors, tu t’amuses bien ?

— Est-ce que je sais ? Je ne pense à rien, j’ai la tête engourdie, c’est tellement bon ! Pourtant j’aime bien quand ils me serrent… Quand ils me serrent et qu’on valse vite, ça donne envie de crier !

Qu’est-ce qu’on entend tout à coup ? Des piétinements, des piaillements de femme qu’on gifle, des injures criées… Est-ce que les gars se battent ? Mais non, ça vient de là-haut, ma parole ! Les cris deviennent tout de suite si aigus que la promenade des couples s’arrête ; on s’inquiète, et une bonne âme, le brave et ridicule Antonin Rabastens, se précipite à la porte de l’escalier intérieur, l’ouvre… le tumulte croît, je reconnais avec stupeur la voix de la mère Sergent, cette voix criarde de vieille