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L’orchestre avertit les couples de se joindre et, dans les coups d’éventail des jupes qui nous frôlent les genoux, je vois passer ma sœur de lait Claire, alanguie et toute gentille, aux bras du beau sous-maître Antonin Rabastens, qui valse avec furie, un œillet blanc à la boutonnière.

Ces demoiselles ne sont pas encore descendues (je surveille assidûment la petite porte de l’escalier dérobé, par où elles apparaîtront) quand un monsieur, un des « habits noirs » s’incline devant moi. Je me laisse emmener ; il n’est pas déplaisant, trop grand pour moi, solide, et il valse bien, sans trop me serrer, en me regardant d’en haut d’un air amusé.

Comme je suis bête ! Je n’aurais dû songer qu’au plaisir de danser, à la joie pure d’être invitée avant Anaïs qui lorgne mon cavalier d’un œil d’envie… et, de cette valse-là, je ne retire que du chagrin, une tristesse, niaise peut-être, mais si aiguë que je retiens mes larmes à grand’peine… Pourquoi ? Ah ! parce que… — non, je ne peux pas être sincère absolument, jusqu’au bout, je peux seulement indiquer… — je me sens l’âme tout endolorie, parce que, moi qui n’aime guère danser, j’aimerais danser avec quelqu’un que j’adorerais de tout mon cœur, parce que j’aurais voulu avoir là ce quelqu’un, pour me détendre à lui dire tout ce que je ne confie qu’à Fanchette ou à mon oreille (et même pas à mon journal), parce que ce quelqu’un-là me manque follement, et que j’en suis