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claudine à l’école

Cette petite Aimée — elle a 19 ans et me vient à l’oreille — bavarde comme une pensionnaire qu’elle était encore il y a trois mois, avec un besoin de tendresse, de gestes blottis, qui me touche. Des gestes blottis ! Elle les contient dans une peur instinctive de Mlle Sergent, ses petites mains froides serrées sous le collet de fausse fourrure (la pauvrette est sans argent comme des milliers de ses pareilles). Pour l’apprivoiser, je me fais douce, sans peine, et je la questionne, assez contente de la regarder. Elle parle, jolie en dépit, ou à cause, de sa frimousse irrégulière. Si les pommettes saillent un peu trop, si, sous le nez court, la bouche un peu trop renflée fait un drôle de petit coin à gauche quand elle rit, en revanche quels yeux merveilleux couleur d’or jaune, et quel teint, un de ces teints délicats à l’œil, si solides que le froid ne les bleuit même pas ! Elle parle, elle parle, — et son père qui est tailleur de pierres, et sa mère qui tapait souvent, et sa sœur et ses trois frères, et la dure École normale du chef-lieu où l’eau gelait dans les brocs, où elle tombait toujours de sommeil parce qu’on se lève à cinq heures (heureusement la maîtresse d’anglais était bien gentille pour elle) et les vacances dans sa famille où on la forçait à se remettre au ménage, en disant qu’elle serait mieux à tremper la soupe qu’à faire la demoiselle, — tout ça défile dans son bavardage, toute cette jeunesse de misère qu’elle supportait