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claudine à l’école

Encore une de nos coutumes immuables et ridicules, ces bouteilles. Dès les premiers jours de grosse chaleur, il est convenu que l’eau de la pompe devient imbuvable (elle l’est en tout temps), et chacune apporte au fond du petit panier, — quelquefois dans la serviette de cuir ou le sac de toile — une bouteille pleine de boisson fraîche. C’est à qui réalisera le mélange le plus baroque, les liquides les plus dénaturés. Pas de coco, c’est bon pour la petite classe ! À nous l’eau vinaigrée qui blanchit les lèvres et tiraille l’estomac, les citronnades aiguës, les menthes qu’on fabrique soi-même avec les feuilles fraîches de la plante, l’eau-de-vie chipée à la maison et empâtée de sucre, le jus des groseilles vertes qui fait regipper[1]. La grande Anaïs déplore amèrement le départ de la fille du pharmacien, qui nous fournissait jadis des flacons pleins d’alcool de menthe trop peu additionné d’eau, ou encore d’eau de Botot sucrée ; moi qui suis une nature simple, je me borne à boire du vin blanc coupé d’eau de Seltz, avec du sucre et un peu de citron. Anaïs abuse du vinaigre et Marie du jus de réglisse, si concentré qu’il tourne au noir. L’usage des bouteilles étant interdit, chacune, je le répète, apporte la sienne, fermée d’un bouchon que traverse un tuyau de plume, ce qui nous permet de boire en nous penchant, sous prétexte de

  1. Mot intraduisible indiquant l’impression produite par les saveurs astringentes.