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RICHARD WAGNER

chapeau haut-de-forme quand on va faire une visite officielle. Faut-il le garder ? Faut-il le laisser au vestibule ?

À droite. — Je ne comprends pas.

À gauche. — Le chapeau dans l’espèce, c’est la bonne femme, Isolde quoi ! Un peu d’imagination ! Je suis Tristan et c’est ma grande scène du Deux. Vous y êtes ? Très bien, que dois-je faire de la bonne femme ? dois-je la serrer continuellement contre mon cœur ? Mais alors comme c’est fatigant et incommode pour chanter ! Dois-je la laisser tranquille et ne m’occuper que de la partition ? Mais alors cela me fait mal au cœur de la sentir à côté de moi inoccupée et ne sachant que faire de sa personne ! Si encore elle avait un éventail ! C’est comme la dame qui doit chanter la Marseillaise le jour du 14 juillet et qui commet l’imprudence d’apporter un drapeau avec elle. Il n’y a que deux choses à faire avec un drapeau ou le tenir à bout de bras ou le serrer sur sa poitrine. On se lasse tout de suite de l’un et de l’autre effet.

À droite. — Attendez un peu vous-même que vous ayez à faire exécuter un duo d’amour. Vous verrez comment vos interprètes s’en tireront.

À gauche. — Pensez-vous que je n’aime pas Tristan ? L’acte I et l’acte II quand je les ai entendus jadis au Château d’eau avec Van Dyck, pardonnez-moi, c’est un souvenir comme la Première Communion. Et plus tard à la Bibliothèque Nationale quand je feuilletais cette partition toute sabrée des annotations furieuses de Berlioz, quel respect, quelle émotion, à parcourir ces grandes pages pareilles à des portiques de cathédrales avec les violons en haut et les posaunen, ou cet instrument mystérieux dont le nom me faisait battre le cœur, le tuba, en dessous.

À droite. — Berlioz, quelle injustice !

À gauche. — Le tuba, pour moi, c’est le roi Mark.

À droite. — Les Troyens sont un chef-d’œuvre, le chef-d’œuvre de l’art français, tout baigné d’une lumière élyséenne et béatifique ! La postérité légitime de Gluck et de Fidelio ! Et on ne les joue jamais ! Quelle honte pour la France ! Si vous n’étiez pas si bavard, j’aurais beaucoup de choses à vous dire sur Berlioz et sur la forme de composition qui lui était essentielle, le découpage d’un sujet en compartiments, en numéros,