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RICHARD WAGNER

dit le pharmacien de Nancy, ça passe, ça passe ! Ça commence à être un peu inquiétant, mais ça passe. Et puis on arrive à cette sublime scène finale, les adieux de Wotan, on oublie tout, ce n’est pas un homme qui a écrit ça, c’est un demi-dieu !

À gauche. — Il est vrai, c’est un sommet. Après cela on descend.

À droite. — Dès le premier acte de Siegfried, on voit bien qu’il y a une lacune, il ne se passe rien, la scène est vide. Le musicien est encore là, mais le poète bricole, il n’est pas à son affaire. Il y a bien un soufflet, mais cela ne remplace pas l’inspiration.

À gauche. — Tout repart avec l’Épée !

À droite. — Tout repart gaiement et magnifiquement avec l’Épée ! Et puis ce sont les Murmures de la Forêt, le Dragon, le Cor, le Chant de l’oiseau. Nous sommes arrivés ! Nous sommes en pleine Germanie. Tout à l’heure nous étions au sommet, maintenant nous sommes au centre. Toute l’œuvre de Wagner s’organise autour de ça

À gauche. — Écoutez-voir tout de même dans la Walküre quand l’énorme Brunnhilde se couche par terre, pareille à un cuirassier de Gustave-Adolphe, et que le bouclier que son papa lui a placé sur le corps se met à marcher, soulevé par une puissante respiration.

À droite. — Voilà tout ce que vous regardez ! Ça m’étonne que vous ne m’ayez pas encore parlé d’Erda enfermée dans son petit biertunnel, vous vous rappelez ? quelque chose comme ces rocailles pour vautours que l’on voit dans les jardins zoologiques, la figure à travers la lucarne éclairée par le rayon d’un affectueux projecteur. Et le sympathique Wotan qui vient la consulter, avec son chapeau de bougnat et cet emplâtre à la Robert-Macaire sur l’œil gauche !

À gauche. — Il ne faut pas plaisanter, ces oracles qu’elle débite d’une voix caverneuse, c’est toute la philosophie allemande, la descente du Herr Privat-Dozent dans les entrailles de la terre ! Peu importe ce qu’elle dit, personne n’écoute, il n’y a que le ton caverneux qui est important.

À droite. — C’est curieux comme le protestantisme et la philosophie allemande s’allient naturellement avec le sombre paganisme de la forge islandaise ! Ainsi dans ces mornes