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Le rideau, comparable à ce voile qu’est la division du sommeil, ici n’existe pas. Mais, comme si chacun, y arrachant son lambeau, s’était pris dans l’infranchissable tissu, dont les couleurs et l’éclat illusoire sont comme la livrée de la nuit, chaque personnage dans sa soie ne manifeste rien de lui-même que le mouvement dont il bouge ; sous le plumage de son rôle, la tête coiffée d’or, la face cachée sous le fard et le masque, ce n’est plus qu’un geste et une voix. L’empereur pleure sur son royaume, la princesse injustement accusée fuit chez les monstres et les sauvages, les armées défilent, les combats se livrent, les années et les distances d’un geste s’effacent, les débats s’engagent devant les vieillards, les dieux descendent, le démon surgit d’un pot. Mais jamais, comme engagé dans l’exécution d’un chant ou d’une multiple danse, aucun des personnages pas plus que de cela qui le vêt, ne sort du rythme et de la mélopée générale qui mesure les distances et règle les évolutions. L’orchestre par derrière, qui tout au long de la pièce mène son tumulte évocatoire, comme si, tels que les essaims d’abeilles qu’on rassemble en heurtant un chaudron, les phantasmes scéniques devaient se dissiper avec le silence, a moins le rôle musical qu’il ne sert de support à tout, jouant, pour ainsi dire le souffleur, et répondant pour le public. C’est lui qui