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Cité des lanternes, nous voici derechef parmi le chaos de tes dix mille visages.

Si l’on cherche l’explication, la raison qui si complètement distingue de tous souvenirs la ville où nous cheminons, on est bientôt frappé de ce fait : il n’y a pas de chevaux dans les rues. La cité est purement humaine. Les Chinois observent ceci d’analogue à un principe de ne pas employer un auxiliaire animal et mécanique à la tâche qui peut faire vivre un homme. Cela explique l’étroitesse des rues, les escaliers, les ponts courbes, les maisons sans murs, les cheminements sinueux des venelles et des couloirs. La ville forme un tout cohérent, un gâteau industrieux communiquant avec lui-même dans toutes ses parties, foré comme une fourmilière. Quand la nuit vient, chacun se barricade. Le jour, il n’y a pas de portes, je veux dire pas de portes qu’on ferme. La porte n’a point ici de fonction officielle  : ce n’est qu’une ouverture façonnée ; pas de mur qui, par quelque fissure, ne puisse livrer passage à un être leste et mince. Les larges rues nécessaires aux mouvements généraux et sommaires d’une vie simplifiée et automatique ne sauraient se retrouver ici. Ce ne sont que des couloirs collecteurs, des passages ménagés.

Une fumerie d’opium, le marché aux prostituées, les derniers remplissent le cadre de mon