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son souper. Même, au printemps, dans la turbulence de sa jouerie, le dragon aux anneaux bouillonnants envahit nos rues et nos maisons. Comme la mère chinoise offre le petit enfant au chien de la maison qui lui nettoie le derrière avec soin, il efface en un coup de langue l’immense ordure de la ville.

Mais aujourd’hui c’est la fête du fleuve ; nous célébrons son carnaval avec lui dans le roulant tumulte des eaux blondes. Si tu ne peux passer le jour enfoncé dans le remous comme un buffle jusqu’aux yeux à l’ombre de ton bateau, ne néglige pas d’offrir au soleil de midi de l’eau pure dans un bol de porcelaine blanche ; elle sera pour l’an qui vient un remède contre la colique. Et ce n’est pas le temps de rien ménager : qu’on descelle la plus pesante cruche, courge potable d’or à l’écorce de terre, que l’on suce au goulot même le thé du quatrième mois  ! Que chacun, par cette après-midi de pleine crue et de plein soleil, vienne palper, taper, étreindre, chevaucher le grand fleuve municipal, l’animal d’eau qui fuit d’une échine ininterrompue vers la mer. Tout grouille, tout tremble d’une rive à l’autre de sampans et de bateaux, où les convives de soie pareils à de clairs bouquets boivent et jouent ; tout est lumière et tambour. De çà, de là, de toutes parts, jaillissent et filent les pirogues à têtes de dragons, aux bras de cent pagayeurs