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de son canot qui danse, il salue de la main notre navire affranchi ; on largue l’échelle, nous partons. Nous partons dans le clair-de-lune  !

Et je vois au-dessus de moi la ligne courbe de l’horizon, telle que la frontière d’un sommeil démesuré. Tout mon cœur désespérément, comme l’opaque sanglot avec lequel on se rendort, fuit le rivage derrière nous qui s’éteint. Ah ! mer, c’est toi ! Je rentre. Il n’est pas de sein si bon que l’éternité, et de sécurité comparable à l’espace incirconscrit. Nos nouvelles du monde désormais, celles que chaque soir se levant à notre gauche nous apporte la face de la Lune. Je suis libéré du changement et de la diversité. Point de vicissitudes que celles du jour et de la nuit, de proposition que le Ciel à nos yeux et de demeure que ce sein des grandes Eaux qui le réfléchissent. Pureté purifiante ! Voici avec moi pour nous absoudre l’Absolu. Que m’importe maintenant la fermentation des peuples, l’intrigue des mariages et des guerres, l’opération de l’or et des forces économiques, et toute la confuse partie là-bas engagée ? Tout se réduit au fait et à la passion multiforme des hommes et de la chose. Or, ici, je possède dans sa pureté le rythme principal, la montrance alternative du soleil et son occultation, et le fait simple, l’apparition sur l’horizon des figures sidérales à