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— « J’ai de la chance, disait gaîment Mlle Sylva, jusqu’à ce matin, j’ai cru que quelque chose accrocherait, et que ce beau déjeuner resterait dans mes rêves.

— Merci pour le déjeuner, dit Fierce en riant. Ainsi, ça vous tentait, mademoiselle, de venir vous engriller dans notre cage ?

— Elle est délicieuse, d’abord, votre cage… Ceci est un amour de salle à manger, si simple et quand même si bien faite pour un très grand personnage…

— Et puis nous avons vue sur la mer !

— Vous vous moquez, c’est très mal. — Mais oui, j’avais une grosse envie de venir à bord de ce fameux Bayard. Tout Saïgon ne fait qu’en parler, les journaux sont pleins de vous… Et un déjeuner militaire, voilà une fête pour une petite fille !

— Si petite ?

— Je joue encore à la poupée… Chut ! il ne faut pas le dire. Mais j’aime tant les navires, et les marins, et tout… »

Fierce retient un sourire :

— « Vous aimez les marins ? Pourquoi aimez-vous les marins ?

— Parce que… — Mlle Sylva chercha une seconde — … parce que ce ne sont pas des hommes comme les autres…

— Ah !… Très bien.

— Non… ce ne sont pas des hommes pareils aux hommes de maintenant… les soldats non plus, d’ailleurs… Ils courent le monde, ils voyagent ou vont se