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d’ailleurs de crever de faim parmi l’admiration universelle. — Il imagina la petite Sylva ; une maigre brune à profil de médaille, anguleuse, exaltée, pleurarde, et bête à manger du foin ; — graine de vieille fille. — L’amiral, les yeux lointains, rêvait à des épopées ; l’aide de camp, les épaules un peu haussées, murmura : « Pauvres bougres ; — et pauvre petiote ! »

Comme onze heures sonnaient, les timoniers annoncèrent l’approche du gouverneur, et l’officier de quart appela la garde qui se rangea prés de la coupée. Fierce descendit au bas de l’échelle pour tendre la main aux femmes. Dans le canot remorqué, les cuivres polis réfléchissaient le soleil, et l’on ne distinguait rien parmi le scintillement.

Le canot rangea la coupée. Fierce vit la tête blanche et chafouine du gouverneur, la tête grise et grave d’Abel, et trois ombrelles rose, mauve et bleue. L’ombrelle mauve s’abaissa ; Fierce saisit le bras de Mme Abel qui sauta légèrement sur les premières marches ; il la vit comme à l’ordinaire, point jolie, mais souriante et l’air bon ; — elle plaisait.

Mlle Abel, — ombrelle rose —, monta la seconde. Elle avait conservé son regard mystérieux de sphinx. Elle prit la main offerte et s’appuya très peu ; ses doigts fins et frais ne serraient pas. Fierce admira un poignet fragile qu’on eût dit en pâte de Saxe.

L’ombrelle bleue enfin découvrit Mlle Sylva.

Fierce fut étonné, parce qu’elle ne ressemblait pas du tout au portrait qu’il s’était tracé d’elle.