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maximes ne lui plaisait pas moins. Mévil, que son goût exclusif n’entraînait que vers l’amour, aimait officiellement cinq maîtresses, — et ne négligeait pour elles aucune des rencontres voluptueuses que le hasard lui offrait en surplus. Nul préjugé ne présidait a ses choix ; et toute bouche attirait pareillement son baiser, pourvu qu’elle fût jeune et dessinée en arc. — Une chanteuse d’opérettes, — une mondaine, femme d’avocat renommé, — une congaï annamite à ses gages, servante-esclave d’ailleurs plutôt que servante-maîtresse, — une Japonaise pensionnaire de maison close, mandée chaque mardi pour une volupté hebdomadaire, — une jeune fille réputée candide, et qui se débauchait incognito ; — cinq femmes enfin dont chacune eût probablement méprisé les quatre autres, à cause de leurs destins différents, — étaient également appréciées, flattées, caressées, et méprisées par cet amant professionnel que jamais une préférence n’avait troublé. — Et cela était l’évidente sagesse. — Torral, éclectique, équilibrait ses plaisirs selon l’arithmétique épicurienne, et se vantait d’exprimer ainsi de la vie tout le bonheur y contenu. Ce but devant être atteint, l’opinion d’autrui n’existait pas à ses yeux : et il affichait jusque dans la rue ses liaisons masculines, et promenait en pleine Inspection ses deux boys intimes Ba et Sao. — Cela encore était peut-être la sagesse, — rehaussée d’un cynisme peut-être courageux.

Donc, Fierce jouissait de sa vie saïgonnaise, et jouissait aussi du bien fondé de son plaisir.