Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/79

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur le ventre et la tête entre les pattes ; sommeil feint, coquetterie pour le mâle : les griffes sorties de leurs gaines de velours trouaient sournoisement la terre, et des frissons ondulaient sous la peau rayée.

Le mâle la regardait, immobile comme un tigre de pierre. Il était beaucoup plus haut et long que n’importe quel lion. Son poitrail blanc comme la neige se gonflait fortement tandis qu’il flairait l’autre bête couchée.

Une ombrelle rose se souleva vers Fierce, dont les pas craquaient dans le gravier.

— « Tiens, vous ? vous venez voir les grosses bêtes faire des horreurs ? »

Fierce vit Hélène Liseron, toute fraîche sous son nuage de poudre, les yeux à peine battus.

— « Qu’avez-vous fait de Raymond ? »

Elle lui avait tendu sa main ; il la serrait, la caressant à son habitude de tous ses doigts l’un après l’autre. Elle rit mollement.

— « Plutôt, demandez ce qu’il a fait de moi…

— Eh bien ? »

Elle rit plus fort et fit une moue.

— « Pas grand’chose ! »

Le tigre commençait de rugir. Il s’interrompit pour regarder les chétifs qui le guettaient ; puis, avec un mépris lent, il détourna le mufle, et marcha jusqu’à la tigresse. Il la poussa d’un coup de tête ; elle fit la morte et ne bougea pas. Colère, il revint à la charge, et la roula comme on roule une petite chatte. Alors, elle se fâcha ; elle bondit, les griffes tirées, et s’élança