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passable contre l’alcool ; il combat le mal aux cheveux par le mal au cœur. Tout de suite aussi l’innocence et la sérénité s’effacèrent du visage éveillé, qui reparut las et inassouvi.

Le petit matelot était parti. Fierce se leva, légèrement pâle et les tempes moites, et commença par vider à demi un flacon de café en réserve parmi sa parfumerie. Puis, le cœur moins flou, il ôta son pyjama blanc, et entra dans le tub. Après quoi, la peau délicieusement ruisselante, il laissa la brise matinière sécher ses épaules, et se regarda dans son miroir. Il n’était pas coquet, mais il appréciait judicieusement l’avantage que donne pour la traversée de la vie un corps bien fait et un visage avenant. Il se plut à constater que, malgré ses vingt-six ans copieusement vécus, son ventre demeurait plat et son front lisse. Et il s’assit nu, paresseux.

Il appuya sa nuque au dossier du fauteuil. L’opium pesait encore lourd sur ses membres : il avait un cercle de fer autour du front, et sa poitrine était vide, sans cœur ni poumons. Il s’était à coup sûr levé trop tôt des nattes de la fumerie ; — jolie fumerie, par parenthèse ; porte vraiment élégante pour sortir de la vie et entrer dans le rêve des dieux ! — Oui, il s’était levé trop tôt. Mais il fallait rentrer, — rentrer à bord, rentrer dans la vie. Il fallait ici, maintenant, se vêtir et aller, donner des ordres, en recevoir, s’agiter de l’agitation bête et vaine des hommes. Il fallait oublier la quiétude souveraine de la nuit d’opium, succédant à l’orgie saoule et lubrique ; oublier les ailes d’or par