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gouverneurs avaient tremblé devant sa plume. Aujourd’hui, vieux, — quarante ans ! — usé, vidé, fini, imbécile, — il restait quand même un des trois ou quatre maîtres de Saïgon et d’Hanoï, de par la terreur des journaux qu’il commandait encore. Et toute sa vie il s’était vanté, et il se vantait encore, dans ses suprêmes instants lucides, de n’avoir ni Dieu, ni maître, ni loi.

Ah ! il avait bien vécu ! Selon la formule ; — sans préjugés, sans conventions, sans superstitions ; — au gré de sa fantaisie, — de toutes ses fantaisies ; — et même aujourd’hui, vieux et proche de la fosse, ou de l’hospice, il avait encore son courage et sa volonté des anciens jours : il savait venir chercher son plaisir où il le trouvait, fût-ce dans un bouge, — ici ! Torral, en passant, salua cet homme. — Puis il pénétra dans un des chenils, après avoir appelé du doigt deux boys qui accoururent ; et il ne ressortit pas.

Hélène Liseron, trop ivre et trop lasse, s’endormait contre l’épaule de son amant. Mévil était demeuré sur la porte. Un coureur de pousse l’appela de la rue. Machinalement, il fit demi-tour, et se laissa remporter chez lui avec la chanteuse, oubliant Fierce.

Fierce resta seul, debout au milieu du cloaque. Quatre femelles accrochées à son vêtement, le tiraillaient vers leurs nattes,

Il ne pensait plus à grand’chose, ni bien nettement. Tout de même, une idée surnageait, dans le naufrage le sa cervelle, — une idée idiote, mais tenace comme une migraine… ce Rochet, quelque dix ans plus