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tous de croire que nous achevions le chapitre sans broncher. Que diable ! Je ne sache pas qu’il soit honteux de faire des enfants, et je ne comprends pas pourquoi l’on se cache quand on essaye d’en faire, — ou qu’on fait semblant. »

Liseron se souleva pour regarder Torral.

— « Vous êtes abominable, dit-elle ; — elle se tourna tendrement vers Raymond : — n’est-ce pas, ami ?

— Oui, » souffla Mévil d’une voix basse et terne, — la voix des gens qui répondent sans avoir entendu. — Il était toujours affaissé en arrière, et on ne voyait pas son visage dans l’ombre. Fierce cligna des yeux pour l’examiner ; mais il l’entendit respirer librement, d’un souffle égal et ne s’inquiéta pas.

— « Cholon, » cria Torral au saïs.

Ils avaient quitté l’allée de promenade. Les chevaux trottèrent. La route tourna sous bois, entre des haies opaques. Tout de suite, ce fut le silence, la solitude et l’obscurité. Ils coururent longtemps dans la campagne endormie, et, au bout du bois, ils débouchèrent dans une grande plaine.

Ils avaient cessé de parler dès qu’ils s’étaient retrouvés seuls, — bâillonnés en quelque sorte par la nuit noire des taillis. La plaine, moins sombre, luisait faiblement sous les étoiles, car elle était nue, sans un arbre ni une broussaille ; mais quand même, on n’avait point désir de bavarder dans cette plaine-là, — la Plaine des Tombeaux. — À perte de vue, vers tous les horizons, la terre se bosselait de monticules réguliers,