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par contenance, regardèrent une minute au dehors, puis, Fierce se pencha pour prendre du feu à la cigarette de Torral, tous deux indifférents. — Hélène, dont on voyait les bras au cou de son amant, s’agitait de mouvements lents et rythmés, et poussait de grands soupirs et des plaintes… Une voiture venant à leur rencontre, les croisa dans le temps d’un éclair. D’autres survinrent. La route tournait à gauche, et se prolongeait en allée de parc, joliment encadrée de pelouses et de bosquets. C’était l’Inspection, — les Acacias de Saïgon, où la mode est de se promener la nuit comme le jour. — Des lanternes luisaient nombreuses, créant un demi-jour équivoque et intermittent. Les victorias marchaient au pas, sur deux files ; et l’on distinguait les visages des gens ; mais on n’échangeait pas de saluts, par discrétion. D’une secousse des reins et des poignets, Hélène se redressa. Elle respira fort et s’éventa le visage. Fierce, décemment, étendit sa main et fit retomber les plis de la robe ; dans ce geste, il rencontra le poignet de la jeune femme, et elle lui serra les doigts rudement, comme pour détendre ses nerfs encore irrités. Mévil, la tête à la renverse dans l’angle des coussins, était immobile comme un mort.

— « C’est très bête, dit Hélène après un petit moment. Tous ces gens-là nous ont vus. »

Du menton, elle désignait les voitures de la contre-file.

— « Voyez-les vous-même, » dit Torral en haussant les épaules